Il s’était échappé de son Petit Navire
On aurait pas rêvé meilleure pêche pour qui est privé de sortie, et finira la soirée seul devant un plat froid passé de la barcasse à la barquette en moins de temps qu’il n’en faut pour suffoquer, à moins qu’il n’ait été directement noyé dans cette sauce sinistre, dont la consistance n’est pas sans rappeler le sort de ses congénères qui ont croisé la route d’Erika (le pétrolier, pas la tempête)…
Les aléas du train veulent qu’on arrive tard et en retard à Bâle, notre terminus en Suisse, avec un des derniers trains qui convoient les résignés, ceux qui arriveront au milieu du dîner sans avoir pris la peine de se changer ou pire, ceux qui comme moi sont personnel volontaire ou sacrificiel, commis d’office même sans bureau, et rentrent chez eux où un sort identique les attends.
Résignés mais souriants, pas de stressés dans ce train-ci ou tout le monde semble visiblement à sa place. Les ruptures de correspondances les conduiront quand même a bon port, mais en taxi, pris en charge par d’autres travailleurs qui officient également ce soir-là, sans être pour autant Maîtres d’Hôtel, de Chais ou de Cérémonie.
Pas d’urgence vitale ce soir à arriver avant la fermeture du boulanger récupérer quelconque bûche, qui ne sera pas pour cette fois de celles dont on se chauffe.
Le très élégant Hôtel dans lequel la SNCF loge son personnel faute d’avoir trouvé pire, résonne du jeu d’une pianiste endimanchée comme une harpiste qui ne pincerait pas que des cordes.
Elle interprête le Happy New Year de ABBA à peine reconnaissable d’être joué sur un piano à queue mais sans Pie, ce qui est malvenue un soir de Saint Sylvestre dans si bel endroit.
A bien y regarder, elle a des faux airs d’Anni-Frid prête à mourrir à Waterloo.
Décidé à faire sa fête à mon thon qu’une faim de non recevoir me résigne à si peu galante compagnie, on m'installe au 8ème, ce qui me permettra de voir d’un peu loin mais de suffisamment haut, un feu d’artifice tiré à quatre épingle de plusieurs endroits le long du Rhin.
Il faut dire que vu d’ici, il ressemble davantage être une attaque de bombes incendiaires, doute dissipée de n’avoir comme seul voisin moyenâgeux que le Lichtenstein.
Les recettes de Douarnenez du Petit Navire nous annoncent un menu de la mer sous un ciel fort peu étoilé : le thon sera drapé à la piémontaise (une nage en fait), ce qui augure de voyager avec un certain panache.
La conserverie qui situe le Piémont quelque part entre Quimper et le Crozon, a interprété plutôt avec réussite cette recette d’origine russe qui se sera expatriée pour parler l’italien avec un accent qu’il ne sera pas utile de couper au couteau, sans doute du temps ou l’on pouvait encore traverser librement l’Ukraine.
Elle jouera parfaitement son rôle, bien qu’au vu de sa consistance, on aurait pu l’ennoblir à la tartiner sur des toasts, si le détecteur de fumée de l’hôtel n’avait menacé de claironner l’avis de tempête générale et ce bien après la noyade du thon.
La soirée se poursuit devant la télévision, comme des millions de francais qui regrettent Au théâtre ce soir pour pouvoir dire ‘j’y étais’ et n’ont vu des Palaces que ce que Jacqueline Maillan a bien voulu leur raconter.
On espère capter une bribe de programme sans Joséphine mais sous les hospices de quelques anges gardiens, qui compléteraient ce frugal dernier diner de l’année.
Hélas, bien qu’en Suisse on chope La Une sur la 45, cela ne contribuera en rien à donner de la hauteur au programme.
Après une nuit courte émaillée par des pétards et les hurlements de ceux qui en ont tout perdu à jouer avec leurs doigts sans même avoir trouvé le Casino, il est déjà temps de rouler un des premiers trains du matin.
On fera voyager d’autres rescapés, ni vraiment bien mis ni complètement défaits, qui rentrent au bercail, en banc mais sans thons.
Personne ne vomira dans le train, ce dont on les remerciera avant de rappeler que le premier jour de l’année est aussi le premier jour du mois et qu’il serait commode de mettre à jour ses abonnements ! Histoire de démarrer 2023 en passant à la borne.
Un retour aux réalités après une parenthèse pas complètement enchantée, une de celles qui donne le thon de ce à quoi ressemblera l’année.
L'Alchimiste.