Mon train a un drôle de Genre
- Patrice Snoeck
- 18 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 juin
S02 EP 10


Par quel étrange hasard du calendrier que la Gay Pride de Strasbourg tombe le même jour que l’anniversaire de Donald Trump et du Mien, autant inquiet qu’on ait confié les clés du Monde à un Gémeaux qu’aux dégâts qu’un dogmatisme de chien font à la société toute entière et la société LGBT en particulier.
Avant de s’amuser un peu d’un sujet qu’une nation fracturée a rendu inutilement sensible, un petit rappel de pedigree : 30 ans déjà qu’on jouait les précurseurs en lançant avec mon associé Directeur artistique de Grande Maison de Luxe et un joli tour de table une chaîne de télé Mode et Gay, et surtout gaie.
On a frayé un chemin avec le CSA, L’ARCOM d’alors, CANAL+, des financiers un rien baba, des institutions plutôt bien montées du collet, en plus du milieu Queer lui même. Et lui, c’était pas la mince affaire.
On a déjeuné chez Amanda Lear sous un Picasso, discuté avec Pierre Bergé sous un Wharrol, on a vu Lio en peignoir et en vraie brune qui faisait peur à Magloire, et quelques sommités déterminées dans leur art mais mais pas forcément dans leur Genre et qui avait bien voulu nous accompagner sur le podium, Lacroix, Fressange, et j’en passe, Y’avait pas Teams et c’était tant mieux. Il n’y avait pas Gaultier non plus qui n’avait pas osé et je lui ai plus tard reproché sur un trottoir new-yorkais.
Bien plus tard encore, devant un Jean François Bizot, charismatique fondateur de la Galaxie Radio nova dans laquelle j’ai gravement satellisé… Il aimait les démarches qui avaient de la pertinence et surtout de l’impertinence, j’ai proposé d’y retourner en musique et en 3 opus.
Trois concerts de fin de marche plus tard, on a repris République et La Bastille avec Garnier, Crecy, et j’en passe, une Marseillaise triturée par Mariane James et Jack Lang, et quelques anecdotes que seuls ceux qui y étaient croient à ce qu’ils ont raconté…
On peut dire que j’ai donné.
Aujourd’hui le train est bariolé, mais sans plus, on a connu plus pailleté. Pas de platform shoes, et dans le train c’est tant mieux, pas de Drag non plus pourtant revenue en vogue mais trop corsetées pour faire du Voguing, ou peut être trop flippées pour prendre le train avec l’euphorie des années 2010… et au final la flamboyante n’est pas au rendez-vous.
Tout au plus un peu de make up Rainbow moins violent que les groupies d’un match du PSG flanqué du flag national en guise de far à joues et il y a plus de paillettes à ramasser après un diner dans l’Orient Express, qu’un personnel tout aussi noctambule s’emploie à faire disparaître dans un balai de Dyson digne d’une chorée de Beyoncé. Hey, Run the word, Girls !!
Faut croire que l’époque n’est plus à la fête, ou si peu, et l’on comprend désormais qu’il faut sans cesses marteler pour infléchir les mentalités. Néanmoins le train est plein de sympathisants comme un jour de beau temps, y compris de petits couples hétéronormés-grave et pas moins gravement mignons pour autant.
Et c’est bien le truc, chaque époque son style, chaque décennie ses combats. Chaque feu ses allumettes et ses pyromanes.
Et tous les gens qui sont assis-là iront défiler pour marquer leur attachement à une certaine forme de Liberté, ce mal nécessaire servi aujourd’hui en version débridée, où cause libertaire, musique pas forcément très choisie, look pas si déjantés, et droits LGBT en berne se mélangent dans un goût très lissé de provocation.
Ou un goût très provoqué du lissage, mais avec un fer à souder, des fois qu’il faille en découdre.
Quoique fervent défenseur du Mariage pour personne et du Droit à l’indifférence, j’accueille tout ce petit monde avec la bienveillance d’un vieux tonton qui verrait débarquer ces Anti-Tout cuisinés au wok mais qui mangent Uber, des militants d’après-tranchées qui n’ont pas eu à compter leurs Morts pour exiger de leur Vivant, qui veulent au final être ni ni, oui mais, ou oui et non, sans faire de genre, quoique, mais avec parfois un maximum de chichi.
Enfin, paraître sans l'être, car tel semble être désormais la question.
Je t’emmerde l’Europe à vouloir me contraindre à dire Chers clients ou Chers voyageurs en lieu et place d’un Madame, Mademoiselle, Monsieur, Jeunes Gens… mais là, forcément ça arrange d’avoir à dire ce Bonjour sans éclat, donc sans polémique, même si c’est d’une banalité à crever comme cette « moindre des politesses » qui porte si bien son nom.
Combien d’autres trains ou l’on est pris au dépourvu d’un brushing de Patrick Juvet ou d’une coupe de Sinead O'Conor d’avoir lancé un Monsieur, puis Madame, pour finir par lâcher un ‘Heu’, et combien de contrôleurs n’ont pas trouvé une parade pour faire la pirouette sans faire le paon. Ce « Pardon si j’ai été maladroit » m’a personnellement sauvé de bien des situations.
Collègues, cette tirade je vous l’offre, soyez maladroits, mais souriants, et surtout bienveillants.
Comme les perles sont très en vogue puisqu’elle sont cultivées, que les ongles peints en noir ont fuit les bikers pour agripper d’autres montures, et que les filles découvrent les poils comme leurs précurseuses allemandes biberonnées à l’eugénisme et à la colo, maintenant on y regarde à deux fois avant de personnaliser son salut, et avec doigté quand il s’agit de contrôler une photo ou une cohérence d’identité dont je rappelle que le contrôleur, qui est assermenté par un Tribunal, est un vigile de la contrefaçon.
Avec doigté oui mais sans les mains car mon employeur veille au grain dans le silo, pour protéger toute forme de discrimination liée à l’orientation ou la religion, plus couramment le sexisme, et pas encore à ma connaissance le Genre… La Chouette, symbole de la démarche éthique de l’entreprise, qui je le rappelle n’est pas la femelle du Hibou, ni un ancien Hibou repenti qui aurait viré ses aigrettes pour se contenter d’avoir des aigreurs devant l’ampleur de la tâche à accomplir, d’évangéliser tout ce petit monde, oui, mais sans religion.
Et en tant que collaborateur, qui comprend à sa juste mesure à quel point la chose est précieuse ? Précieux de pas avoir à se déguiser, à lutter, à avancer masqué ou se pervertir dans ces blagues foireuses de potes de régiment, que personne ne te demande dans quel pré tu broutes vu qu’il parait que l’amour est dedans, et d’ailleurs tout le monde s’en fout, quand l’un parle de ses gosses et l’autre de son chien, et sans que personne n'y trouve à redire...
Et que tout le monde cohabite avec l’intelligence de ceux qui ont des préoccupations bien plus prenantes : faire rouler des trains, faire vivre des trains, survivre aux trains. Avec droiture et bienveillance.
L’Alchimiste qui défile plus, mais qui en voit défiler.
J’en profite pour rappeler un autre papier écrit pendant le confinement Et si les légumes étaient genrés? . C’est rafraichissant à devenir frutivore