Sur un air de twerk, Grand-huit, cigognes et herse d’acier, week-end de semaine
- Patrice Snoeck

- 12 oct.
- 6 min de lecture

La GPT (Grande Période de Travail) est longue de 5 jours et de 18 trains. Et pas les moindres...
Les trains du soir, ceux qui arrivent avant la fermeture de la gare, quand on te descend le volet roulant sous le nez, qui à Strasbourg ressemble vaguement à une herse de château médiéval qui aurait tant plu à Guillaume II, qui l’a faite construire.
Ces fameux trains où tu n’as plus qu’à te sauver dignement par où sortent également les poubelles, donc en apnée, et attendre sur le boulevard désert adjacent à la gare que les mecs que tu as verbalisés dans le train trouvent pourquoi ils ont l’impression de te connaître.
Fort heureusement, la plupart du temps, Uber est plus rapide que Kévin.
Vendredi non-stop
Première journée sans débander, ce qu’un hospitalier appellerait un œdème.
On m’a demandé d’être le tôlier du tout premier que je devais simplement suppléer, en raison d’une baisse des températures qui a soufflé les premiers collègues en même temps que quelques ardeurs.
Je vais donc enchaîner beaucoup de trains techniques, ce qui suppose de se préserver a minima pour garder de la ressource.
C’est toujours fastidieux de commencer sa journée, et en plus sa semaine, par un vendredi où tout le monde part en week-end.
Par chance, le train est sympathique, car il fleure bon le week-end et sa flopée de corvées comme les courses, les gosses et les lessives que les gens appellent étrangement de leurs vœux pendant 5 jours, mais au moins sans Teams ni Outlook ; et ce n’est pas pour autant qu’ils mettront un regard dehors.
C’est exercice pénible et périlleux que de contrôler un train très plein, qu’il convient de mener avec un certain doigté, et on n’ira pas verser dans le détail, sauf un peu plus tard aux personnes qui se sont installées en première classe par terre et qui se disent que s’infliger la souffrance d’être plié en deux dans le rack à bagages ou agenouillé au sol vaut pour billet de seconde.
Ce qui marche au confessionnal est plus litigieux dans le train… Mais comme ces journées où j’ai mal au dos, j’adopte une posture compatissante, et à peine plus droite... Et relèverai plus tard quand tous se seront relevés.
Pour les trains suivants, on découvre que les applis ne permettent plus d’acheter les billets et l’on fait du billet à bord à tout-va.
On apprend plus tard que deux banques seulement sont concernées, et comme il s’agit de banques mutualistes dont les clients sont au cœur de leurs préoccupations, je me montre forcément, et une fois de plus, compatissant.
On passera sur les preuves d’achat de billets sur l’appli suisse en me montrant ses comptes bancaires et les droits aux cartes solidaires en me montrant ses relevés de la CAF et, sans surprise, l’un est plus riche que l’autre.
C’est finalement un train très mutualiste.
Le tout dernier train est une triplette, un assemblage de trains patauds et de particules fines qui fonctionnent avec des moteurs diesel de camions et ont la reprise d’un semi-remorque. On les appelle les supo parce qu’ils sont con/fondants, ou parfois les baleines bleues parce qu’ils ne manquent pas non plus de sel, et on ne les croise en principe plus sur les lignes civilisées, sauf à aller rejoindre un technicentre ou une usine de démantèlement.
Dans une gare improbable où, en plus, on s’arrête — et fort heureusement puisqu’on dispose d’un quai — un dégagement de vapeur très bucolique se dessine sur la queue du quai et l’habille d’un air de steamer de la belle époque.
Il s’avère être en fait un dégagement de fumée, et en moins de temps qu’il n’en faut pour s'en assurer, on évacue les voyageurs qui s’y trouvent, le temps d’intervenir en coupant les moteurs et de fermer la voiture aux passagers, non sans avoir vérifié que tous allaient bien.
Une fuite d’huile sur un moteur a raison de la confiance des voyageurs qui, regroupés sur les quais, se sont amassés inquiets comme des châtaignes qui attendent de tomber dans un brasero.
Ils finiront par accepter de remonter dans le train qui a encore deux unités valides, non sans les avoir rassurés de la fiabilité de ce bruyant convoi d'un sourire taboulé tâché de vapeurs d'essence.
Tout le monde monte en tête et se gratte au rythme imposé par un SDF que personne ne pourra cette fois éviter.
C’est donc un train très social.
Il finira par arriver à Strasbourg sous le regard réprobateur des équipes au sol pour avoir retardé la descente de la herse et le débarquement des preux chevaliers, à savoir les hommes en bleu, mais qui ont viré au vert .
Samedi à la porte
Mon renfort est inconnu au bataillon et on se jauge comme il est d’usage, comme deux chiens mais sans faïence et surtout qu'avec les yeux.
Pour cette seconde journée, je descends en tant que renfort sur Nancy pour reprendre le train en titulaire et revenir avec un train plutôt vide mais un game over de PV, puisque un tiers des voyageurs n’a eu le temps de rien ou est tombé en panne de tout.
Le dernier train pour Mulhouse se déroule sans éclat, et même sans voix, si ce n’est que nous trouvons porte close à l’hôtel.
On tambourinera pendant un quart d’heure sous la pluie avec les clopeurs en t-shirt que plus rien n’effraie sauf leur mine au réveil, avant qu’un type louche enfermé volontaire ne nous ouvre, à moins qu’il ne s’agisse d’un client de dernière minute — mais pas de dernière pluie — qui connaît l’heure des rondes du veilleur.
Encore un qu’on connaît bien.
Le veilleur est tombé en panne de portable et donc forcément on comprend, non sans lui avoir infligé un gage consistant à vider son mini-bar.
Dimanche à gogo
Les trains du REME le week-end sont pleins d’aventuriers en goguette qui prennent leur contrôleur pour un gogo.
Ici, un jeune homme me présente la carte de sa sœur, et dire que ça ne s’est même pas joué à la moustache ; là, deux autres avec un casque sur les oreilles ont failli être découpés par le train à la fermeture des portes.
Pour finir, je sépare un monsieur de sa dame après que celle-ci n’ait pu se décider dans quel train elle montait ; il se trouve que c’est le monsieur qui a leur billet et que lui s’en sortira bien, en plus d’être monté dans le train le plus lent et aura la paix 20 minutes de plus.
J’appelle néanmoins mon collègue du train qui me suit pour nommer la dame et le sensibiliser sur le fait qu’elle doit plus ou moins ressembler à une PMR avec des troubles cognitifs. Il me paraît inutile de l'accabler.
Lundi qui bat de l’aile
Les collègues de la lutte anti-fraude, la LAFwaffe du train, m’accompagnent sur le premier train que je leur abandonne, compte tenu qu’ils sont aussi nombreux qu’on a de voitures accrochées à la loc.
Ils se sont choisis comme emblème une cigogne à mine patibulaire plutôt que le costume rouge dont on affublait les «Exécuteurs des Hautes Œuvres» jusqu’au XVIIᵉ siècle, cigognes connues pour nicher et donc dénicher, et qui balanceront leurs ballots à 50 balles à d’autres ballots surpris d’une telle présence en volée, mais qui piquent du bec en essaim.
Mardi qui tangue
La nuit à Nancy est agitée par des marginaux qui adorent les gares et font un raffut du diable, bientôt suivi par des camions-poubelles et un Airbus A380 qui a décidé de s’écraser là.
La tournée prévoit de zigzaguer entre Nancy, Strasbourg et Metz, et la ligne est connue pour cavaler à l’arrivée en gare pour repartir dans l’autre sens en un temps record qui ne souffre d’aucun retard, et pour secouer sévèrement les contrôleurs à les dégoûter de l’Orangina.
Néanmoins, la tournée est sympathique et l’on croise des sourires comme dans n’importe quel open bar, et la police ferroviaire n’aura à secouer personne pour en extraire la pulpe.
Est arrivée l’heure d’un week-end de milieu de semaine, donc un midweek, et dire qu’on croyait que c’est Center Parcs qui avait inventé ça pour remplir ses cabanons.
Bientôt un nouvel épisode des Tribulations du tribun du train, sans Cottage mais pas sans Cheeeeese.
L'Alchimiste #TTT



