Sur un air de breakdance, zombies et Dragibus, tristesse - Roseau ploie, fané.
- Patrice Snoeck

- 20 nov.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 nov.

La semaine est marqué par Halloween et les commémorations alors on s'attend à du lourd. Il y aura du Lourdes aussi grâce à Accès Plus qui sait si bien ambiancer nos trains.
On s'est fait peur à monter en marche, on a tremblé, on a été sacrément ému aussi.
C'était pas semaine à jouer les durs et encore moins au con. On en sort pas indemne ni grandit pour autant, on en sort juste en vie.
Vendredi hallo
La commande du personnel me demande de prendre mon service deux heures plus tôt et de changer de tournée, donc de destination, mais je n’y perds ni gagne, sauf à me speeder un peu, et donc j’accepte.
D’ailleurs j’accepte toujours, même à y perdre au change sur la qualité de la couche et la bonne odeur d’un foyer.
Aujourd’hui c’est Halloween et j’échapperai donc aux gamins de mon immeuble qui ont désossé le digicode.
Dans le train pour Nancy, les voyageurs ont tous des têtes à s’être fait racketter pour des bonbecs, et pour une fois pas de stand thématique en gare de Strasbourg, du genre Haribo Happy Life pour vendre du rêve au kilo.
Je n’ai du coup pas eu le temps de passer acheter des Dragibus, et les goodies que le TGV met à disposition de ses équipes feront providentiellement l’affaire, j’en charge mes poches comme n’importe quel picassiette dans un cocktail.
Hélas, pas un seul mineur dans le train, sauf moi qui vais bientôt descendre à la mine avec mon piolet, alors me voilà bien encombré de mes mini paquets Haribo que j’offrirai à des mamies et à quelque éthérés qui semblent avoir une araignée au plafond.
Évidemment, si elles dévissent leurs piquets sur un Dragibus, je refilerai le bébé au service juridique de TGV.
Le train marque un arrêt imprévu alors que j’annonçais précisément notre arrivée dans la gare suivante, qui la suit de près.
Comme il fait nuit, qu’on manque de repère, et que rien ne ressemble plus à une gare moche qu’une autre gare moche, un grand nombre de passagers descend et se met à tourner en rond, sans doute à la recherche d’un escalier qui a disparu ou de l’ascenseur qui descend à la mine.
Bien que ce soit Halloween, je suis tout de même surpris d’assister à ce flashmob de zombies et comprends vite la situation, d’autant que le conducteur gesticule de sa fenêtre en faisant de grands signes… qu’un instant j’ai cru qu’un passager l’avait mordu.
L’occasion d’un bon fou rire sur le quai et à la sono du train, nous voilà promptement remontés à bord et arrivant dans la bonne gare où l’agent de quai se demande bien pourquoi autant de gens sont déjà tous massés devant les portes et descendent en riant.
Une personne qui s’était endormie aura profité de cette aubaine pour descendre se faire chercher, et une autre pour monter dans le mauvais train.
Dans le train retour de Nancy se tient un atelier maquillage, qui doit se vouloir un hommage à l’Art Nouveau, connu pour son style dégoulinant. Un des protagonistes a forcé sur le bleu Majorelle dans un Frankenstein revisité qui ferait passer Jake Scully pour un Na’vi.
Notre arrivée est interrompue en pleine voie car un train à quai a figé la gare en raison d’un colis abandonné. Et voilà tous à la queue-leu-leu qui attendent que des voies se libèrent pour décharger à tour de rôle un bestiaire digne de l’Île du Docteur Moreau, et par chance on n’arrivera pas sur les voies qui vont vers les Vosges où les chasses communales sont légion.
On en sera pour attendre quinze minutes dans les aiguilles, sans pouvoir faire de crochet et encore moins tricoter.
Départ pour Bâle avec le dernier train.
Une dame est installée par le service Accès Plus dans l’espace réservé aux PMR, Poussette Massivement Régnantes, donc entre le contrôleur et le conducteur.
Elle a été amenée au pas processionnel par un personnel dévoué qui a fait ses classes à Lourdes et est retraité du flambeau, et que dévoient les vieilles personnes qui ont connu les bons au porteur et qui trouvent qu’un porteur a du bon.
Je les vénère comme des Saints.
La dame fait sonner le bouton d’appel d’urgence toutes les cinq minutes pour qu’on la visite, car elle ne s’en sent pas en sécurité, sans doute perturbée par l’allure fort peu convenable de ses voisins qui pourraient sortir du Hellfest, mais en trottinette.
Elle qui préférait être en Première est désappointée de se trouver là, à l’autre extrémité du train, et lui faire savoir que la Première est vide ainsi que la voiture qui la précède ne semble pas calmer son désarroi.
J’en suis quitte pour arrêter le contrôle et me montrer toutes les cinq minutes, sans toutefois lui tenir la main car elle ne présente aucun signe avant-coureur de l’agonie.
Son sort s’améliore avec un changement de voisinage, et elle observe cette petite famille installée en face d’elle qui lui rappelle Amour, Gloire et Beauté, qu’elle a découvert à la mort de l’inspecteur Derrick.
La magie des trains du soir opère comme toujours, y compris les soirs d’Halloween.
Le train est désormais totalement maquillé. Néanmoins, lors de la ronde, un monsieur encapuchonné très recroquevillé sur lui-même alerte mon radar intérieur car il a du sang sur la manche, et son comportement prostré invite à l’aborder.
Il s’avère que le sang est soi-disant faux, mais son maquillage « Passé à tabac » me laisse tout de même pantois. Je ne sais pas si j’ai envie d’y regarder de plus près concernant son billet tant son aspect prête à confusion.
Soirée #billetsalacarte, et tout le monde semble avoir décidé de faire des offrandes au TER Grand-Est en prenant le billet dont le montant lui convenait, et ma réponse fut forcément très convenue.
J’ai discuté avec un groupe de jeunes gens aux déguisements très sophistiqués qui vont faire la fête en club à Bâle. C’est marrant, ce n’est pas une destination que j’imaginais pour cela, mais ça n’est pas la première fois que la ville me surprend d’un overground très under.
À la sortie de la gare, pour rejoindre mon hôtel, des jeunes gens très joyeux parsèment les trottoirs.
Peu de chance de voir un petit Suisse sucrer la sécurité de l’hôtel et venir tambouriner « trick or treat » à la porte, et c’est tant mieux pour qui préfère le Skyr.
Samedi win
Un couple rouspète que ce n’est pas juste que je leur revende un billet dans le train, alors qu’ils ont acheté 3 billets sur 3 bouts de destinations et que ça vaut pour nombre de kilomètres parcourus.
Ils disent ne pas vivre en France et avoir été conseillés par un agent. Celui que j’imagine bien est le marabout freelance que la gare emploie pour faire fuir les pigeons, mais certainement pas pour les choper.
Je suis quitte pour me faire copieusement engueuler et quitter la scène d’un mouvement de tournedos aux deux pigeonnés.
Un groupe de jeunes filles monte à bord, du genre de ce que les réseaux sociaux produisent de pire, m’indiquant avoir des billets avec un regard qui en dit long, et je décide de suivre ce regard en longeant leurs extensions de cils, ce qui me fait faire un sérieux détour.
J’ai eu du nez.
Pendant le contrôle, l’une fouille dans ma sacoche et l’autre ricane. Pour une fois je m’autorise à hausser le ton. Je finis par obtenir des cartes d’identité que je saisis en un temps record, en ayant joué le Tonton flingueur, mais sans puzzle.
Au retour, je ressens le besoin de me poser cinq minutes dans la voiture de Première, la moins et la mieux fréquentée, non sans l’avoir contrôlée au préalable afin d’avoir les noms de tout le monde.
Dernier train omnibus avec des sauts de puce toutes les trois minutes, qui elles savent sauter deux cents fois leur taille, entre autres talents que savoir faire le buzz sur les réseaux sociaux.
Le train est couvert de tags et la partie inférieure des fenêtres, et vu de l’intérieur, on croirait se promener dans le décor féérique et naïf du monde merveilleux des Barbapapas. Bientôt Barbapeste, Barbaloose et Barbabrouille flingueront mes rêves d’enfant et je flinguerai leurs rêves d’adultes.
Dimanche au zoo
Premier train, et c’est dimanche alors je vais donner la messe. Encore un jeune sans identité qui veut bien me donner ses coordonnées et un large sourire. Il les donnera à la maréchaussée avec un air martyre.
Au retour en gare de Bâle, la Suisse met délibérément notre train en retard puisqu’il ne doit pas rentrer dans ses statistiques, pour ramasser quelques voyageurs qu’elle souhaite sans doute ne pas voir s’attarder.
D’ailleurs ils doivent être français car ils ont tous trouvé ça parfaitement anodin, et aucun n’a ânonné.
Le train est étonnamment plein.
Des bagages ainsi que des mascottes de tout genre l’empruntent sans payer, dont un koala à capuche qu’une jeune fille porte sur ses genoux, que j’ai tout d’abord identifié de dos comme un enfant atteint d’hypertrichose, compte tenu qu’à bien y regarder il avait les bras plus velus qu’un vigile.
Comme je commence à être pris d’hallucinations, je poserai un jour de congé en rentrant, car la nature des trains plus que les biorythmes en décide désormais.
Le train est blindé d’étudiants qui ramènent leur linge propre, car demain c’est la rentrée, et j’ai une pensée pour le collègue qui les a amenés chez maman dans un wagon à bestiaux qui sentait le poney.
Lundi à quai
Dans mon premier train direction Nancy, et pour avoir été interpellé mille fois : non, le train ne va ni à Sarreguemines, ni à Metz, ni à Haguenau, le train va à Nancy, comme il est indiqué sur les écrans situés sur le quai, et il suffit de lever la tête de vos portables pour vous en assurer.
Peu après le départ, une décélération impromptue m’interpelle et signifie que le train va s’arrêter dans une gare non prévue au programme.
Le danger est toujours décuplé par la présence d’un quai, car il y a toujours un voyageur qui trouvera plus pratique de venir se faire chercher là.
Je descends du train décidé à refaire une procédure de départ quand celui-ci se remet en marche, fort heureusement sans que personne d’autre que moi n’en soit descendu, et je remonte en marche et en tremblant après avoir jaugé quoi faire et quelles autres options en une demi-fraction de seconde.
Erreur de ma part que de ne pas avoir tiré le signal d’alarme pour sécuriser ma descente, qui aurait pu me coûter la vie.
J’en tremblerai tout le trajet.
Dans le train retour, après m’être fait pourrir la vie par le conducteur, un jeune homme a perdu ses documents dans un accident de voiture et me réclame un billet.
Par empathie, je m’enquiers de savoir s’il n’est pas blessé et il se met à pleurer en me donnant quelques détails d’une tristesse infinie. Très ému, je resterai tout tremblant également dans le train retour.
Un type très narquois n’a pas de papier et se moque ouvertement de moi, et là ça tombe vraiment mal.
Je demande à son endroit à la Sûreté ferroviaire de le mettre à l’envers sur le quai, et l’on finira par lui extorquer un permis de conduire, en le coursant dans le souterrain de la gare. La procédure se passe dans le ton le plus surréaliste, l’individu déclamant je ne sais quelle conspiration.
La scène est néanmoins très folklorique, puisque le train arrivé en retard repart dans la minute, et comme mes affaires sont encore à bord, il s’en faut de peu qu’elles aillent rejoindre la gare où aurait dû se trouver mon corps.
Dernier train pour Bâle, je recroise le même individu qui s’apprête à y monter avant de se raviser. c'est évidemment moins drôle quand on a déjà un nom.
Une jeune femme avec une couronne dans les cheveux célèbre sans doute l’anniversaire du décès de Freddy Mercury, car ce n’est pas le modèle de la collection Burger King, ni celle de l’Impératrice Eugénie, et cela aurait pu, car la jeune fille a l’air suffisamment ingénue pour que la douane qui suivait les odeurs de weed dans le train s’en trouve interloquée.
La police suisse tamise l’entrée en gare de Bâle au micron, plus efficacement que les fanons d’une baleine trieraient le plancton. Dommage qu'elle a pas de dents car maintenant elle a une couronne.
Mardi défait
Dans ce Régiolis au départ de Mulhouse pourtant muni de prises, les portables tombent en panne à 9 h avec l’excuse de 17 h, comme si une épidémie numérique avait frappé les deux dernières voitures du train, que j’envisage sérieusement de condamner à la prochaine gare pour éviter la contamination.
Une fille a manqué son arrêt dans un train fantôme à l’aller et revient sur ses pas en me mettant devant le fait accompli.
C’est pas moi qui me suis endormi, pour peu que l’histoire soit vraie, et elle aurait mieux fait de suivre les miens pour s’expliquer plus tôt.
Néanmoins je me montre magnanime.
Deux femmes ont l’air surprises de me voir là, planté devant elles, un appareil de contrôle à la main. La première a des allures à vendre ses charmes, et la seconde ses organes. Rien à leur reprocher, et donc rien à marchander ! C’est con, je me serais bien offert une rate, la mienne est partie dans un cours bouillon.
Les collègues de lutte antifraude sont présents en nombre dans le train, je trouve leur présence extrêmement réconfortante, en cette période où j’ai l’impression d’être seul au monde, abandonné de tous et envoyé au casse-pipe.
On est donc bien dans un remake de 14/18, et j’accroche immédiatement mon bleuet au col de mon veston.
Un aller-retour à Bâle signe la fin de la Période de Travail et il est temps de se mettre au vert pour éviter de sombrer dans le défaitisme du doute qui s’installe, il est temps d’un break pour ne pas briser le roseau, et sortir le rosaire.
La fermeture éclair du coupe-vent se délite et je traîne un fil rouge derrière moi, si bien que, déjà largement déchétisé, je quitte le quai comme un sac poubelle.
L'Alchimiste #TTT , qui travaille sur l'estime de Toi



