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(RE)POST

 

Sur un air de hula-hoop, l’air qui vacille, bagdad café - si rabelaisien

  • Photo du rédacteur: Patrice Snoeck
    Patrice Snoeck
  • 30 nov.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc.

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Avouez que c’est ballot d’avoir une armoire remplie d’uniformes sans avoir fait son armée, mais d’aller tout de même au casse-pipe comme un bon vieux fantassin, à minima fantasque car c’est le prix de la survie émotionnelle dans ce monde d’émoticônes.

Alterner des semaines à casser sa pipe avec celles à ne casser aucune brique, c’est visiblement ça mon karma.


Jeudi embrûche


Dans le bus qui m’amène à la gare, un gamin en poussette lance sa balle.

Je la ramasse deux fois, il la relance trois. Suis pas d’humeur à jouer avec le petit chien, il ne manquerait plus qu’il me mette d’une humeur de dogue.

Premier aller-retour du REME, il faut que chacun fasse sa part. Et côté sud, j’ai la part belle.

Les deux trains sont relativement pleins avec leur lot d’abonnés et d’abonnés absents, qui ont oublié leur carte et s’attendent à ce qu’on les reconnaisse de les avoir croisés il y a quatre mois.


La seconde partie de cette journée est de longer la Bruche jusqu’à Saint-Dié, cette rivière qui se jette dans l’Ill, qu’il ne faut pas confondre avec la Vologne qui, elle, se suicide dans la Moselle et qu’on ne longe que lorsque le train pousse poussivement jusqu’à Épinal, la ville qui porte si bien son nom de déglinguer l’épine dorsale sur un rail dévertébré.


Le train, hélas, n’ira pas jusque-là, moi qui m’en faisais une joie, en raison d’obstacles sur les voies dont on apprendra plus tard par Radio Ballast qu’il s’agit de débris de verre roulés en boule dans un jogging qu’un quidam aura posé sur les rails, et ce devait être un jogging Nike vu qu’on s’est tous fait niquer.

On s’arrêtera à Saint-Dié, la ville qui a vu naître Jules Ferry et donc aime forcément les trains qui sont dans le même bateau.

Le quidam devait s’imaginer pouvoir le faire dérailler mais l’expérience de cette ligne me laisse penser qu’il devait surtout dérailler bon train.


On va alors s’échanger entre agents les trains pour en faire rouler un max en reprenant et terminant les tournées des collègues impactés qui finiraient eux aussi par dérailler.


Vendredi maquis


Je prends un bus où tous les vieux sont debout et les gamins assis.

Comme ils ont le nez sur leurs portables, ils ne voient pas que des personnes considérées vulnérables vacillent, accrochées aux barres de lapdance, et n’osent pas revendiquer les sièges réglementés.

Il manque à la Compagnie des Transports Strasbourgeois un chef de bord pour remettre les pendules à l’heure et réveiller tout ce petit monde au bon vieux son des cloches.


Prochain train pour Bâle sans encombre mais pas sans retour.

Je dispose de deux renforts et nos regards scrutent le quai. Tous redoutons rapidement ce type louche — mais pas plus à la Cloche pour autant — qui longe le train en hésitant avant de se décider à y monter, sa puissante odeur nous parvenant jusque-ici, visiblement du même créateur que sa tenue.

Tous les trois, nous lâchons un Noooooon polyphonique lorsqu’il pivote vers le train, et on se demande déjà lequel de nous trois devra prendre le maquis.

En attendant que le sort décide de qui le contrôlera à la défaveur des placements réglementaires, nous évaluons nos stocks de lingettes jetables.


Un jeune homme me reproche de ne pas fermer les yeux sur une voyageuse qui s’est trompée de jour, billet qu’elle se fera rembourser.

Comme son billet peut encore faire des petits, je dois cautériser, et lui produis un billet sans toutefois la saigner.

Le jeune homme, qui est la vraie plaie du train, me poursuit sur le quai lors de sa descente pour me reprocher mon attitude de servilité, considérant que l’achat d’un billet est une forme d’acharnement à la contribution au train.

Lui-même disposant d’une carte solidaire qu’il m’a produite du fond d’un sac de bien mauvaise grâce, il doit sans doute mener une réflexion personnelle sur sa propre valeur contributive. Il fera carrière dans un hémicycle, mais en roue libre.


Les trois contrôleurs arpentent le train et en particulier dévalent la voiture où le type louche, qui a depuis viré potage, a établi ses quartiers.

Son voisinage semble s’attendre à ce qu’on l’y renvoie le plus rapidement possible ne sachant pas que manquer d’hygiène n’est pas répréhensible au regard de la loi, qui louche elle aussi.


Police, Suge et Douane font leurs allers-retours dans mes trains, en brigade volante, tournante et alternante, donnant un certain rythme au train, de celui d’un hula-hoop, m’obligeant à marcher en ondulant tant leurs passages sont fréquents.


Je verbalise à l’arrache un DTF/JDL — un « de toute façon je descends là » — en sacrifiant bien malgré moi le message d’arrivée en gare de Mulhouse, la sono devenant inaccessible quand les voyageurs investissent les allées.

Il devait me rester assez de nez pour avoir anticipé d’indiquer les voies de départ de leurs correspondances directement aux voyageurs lors du contrôle de leurs billets.

Je dois changer de train car celui que je cède à un collègue continue la ligne vers son autre terminus : Paris-Est.

J’en déguerpis à l’arrache pour rejoindre mon prochain, que j’aime aussi.

Comme les ascenseurs sont en travaux et réduisent considérablement la taille des quais, on peste car c’est bien connu qu’un nouveau service est toujours plus appréciable quand les déconvenues ne sont pas tombées sur soi.


Le dernier train est sous la responsabilité d’une collègue et me déposera à Mulhouse. Il est très plein pour nous rappeler que c’est le week-end et que les bureaux sont à géométrie et horaires fixes.

Dans ce train se trouve un vélo monocycle et forcément on se demande qui peut bien être le clown qui l’a vautré là.

Pourvu qu’il ne cherche pas à faire du funambulisme sur la caténaire pour s’offrir une décharge qu’il pense à tort faite d’adrénaline.


La sortie du train est un escalier qui a été dévoré par un escalator qui a tiré la couverture à lui.

Comme il est en maintenance, et que des personnes veulent encore choper le train par cet escalier qui n’est pas destiné à la descente, ils nous enjambent comme des moutons — mais de Panurge — sans aucun égard.

C’est dingue le nombre de personnes qui semblent avoir lu Rabelais. « Qu’il devienne sage par lui-même, et non par crainte du bâton », faisait-il dire à Gargantua.

Je mémorise quelques visages à qui je le rappellerai.


Cette sortie de gare n’est pas sans me rappeler mon escapade dans le tunnel étroit de la tombe de Toutankhamon, accroupi et accroché à la vie à une rampe descellée. C’est carrément à propos compte tenu qu’on dort à l’Ibis, vénéré pas seulement en ancienne Egypte mais aussi des contrôleurs pour symboliser l’Ordre et la Régularité.


Samedi Bagdad café


À cette heure, il n’y a que des cheminots, et les gosses mal élevés dont les parents auraient préféré vénérer Mercure saccageront le buffet plus tard.

Le petit déjeuner est glacial et aucun collègue ne se dit bonjour au point que je me demande ce qui merde à l’Infra, les conducteurs étant supposé avoir la preview.

Ils ont juste reçu le planning des fêtes de fin d’année.


Le double Régiolis sent le vomi sans qu’on ne sache vraiment identifier s’il sent la fin de soirée ou le début de journée.

En condamnant la rame arrière, on me condamne aussi à me tenir devant la dernière porte du train pour racoler les voyageurs.

Je trouve ça moins grotesque en faisant le même geste de la main que la Reine Élisabeth, qui ne m’oblige en rien à devoir prendre des gants pour autant.

Un nourrisson hurle dans la rame où se sont concentrés tous les voyageurs.

S’il continue, il apprendra que sa poussette fait draisine.


Un dernier aller-retour à Saint-Louis où Louis IX n’a jamais mis les pieds — et ça aurait pu vu qu’il est né à Poissy.

Le train y est terminus dans cette dernière gare de France où je crierai bientôt Gare après une dame qui s’engage directement sur les voies en transportant une grosse valise. Sans doute s’est-elle dit que c’était plus simple de faire ainsi que de descendre par le souterrain.


La scène pourrait sortir de Bagdad Café.

La dame robuste dont la ressemblance avec Jasmin Münchgstettner saute aux yeux traverse tant bien que mal avec sa valise à roulettes le premier rail et bute sur les traverses.

Mon sang se glace, d’autant qu’un TGV vient à peine de soulever les jupes et postiches de tout son quai pour rejoindre Bâle à vive allure.

À coups de sifflet, en hurlant et gesticulant, je l’enjoins à remonter et bien lui prend, car une locomotive de Fret arrive quasiment au même moment.

Elle s’en sort à bon compte mais non sans une remontée des H-Träger, les bretelles bavaroises.

Le happy end s’est joué à un souffle car si elle n'aurait pas eu le temps de voir venir le premier, elle aurait littéralement senti passer le second…

Et dire que c’est Saint Louis qui est mort dans le désert…


Le train retour est sympa même si tout le monde a encore oublié qu’un contrôleur contrôle des billets mais n’en fabrique pas, et qu’on ne paie pas qu’une fois qu’on le voit. Seuls les étrangers seront pardonnés.


J’aurais fait meilleure recette à vendre des glaces, des bonbons et des chocolats mais j’ai eu ma dose de ciné pour aujourd’hui.

J’ai pourtant sacrément envie d’un Magnum.


À Colmar, je perds une nouvelle fois mon badge tout neuf. C’est à cause de l’épingle qui est trop petite. Les gars qui ont inventé ce truc n’ont sans doute jamais eu de nourrice.

Pas question que je descende sur les voies en gare pour le récupérer, j’ai donné du ballast.

Pas plus que n’ont eu d’enfants ou de jugeote, ceux qui ont inventé le dispositif élastique de maintien des vélos dans le Régiolis suivant, et cette constatation sortie de manière si franche provoque l’hilarité de l’assistance.


Et le seul sourire de cette semaine.

#TTT l'Alchimiste qui en a bouffé de la substantifique moelle, et dis pas merci à Rabelais.

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À PROPOS

L'Alchimiste...
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Un pro de la communication basé à Strasbourg qui fait un tour de l'autre côté du miroir.

 

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